Soir d'hiver, soir de fête. Elle ouvre de grands yeux de brebis dorée, de brebis égarée, perdue au milieu de ce doux pays qui l'a toujours abritée. Elle sourit avec blancheur et froideur, amarrée au bras de cet homme puissant qu'est devenu son père. Faire-valoir, voilà sa seule occupation, désormais. Et alors que résonne encore l'écho d'une enfance révolue, on s'approche d'elle, on la félicite d'avoir atteint l'âge vénérable de dix-huit ans. Et elle sourit, feint l'exaltation et la fierté. Solitude dans la foule.

et ta terre sera bougie ;

La flamme danse sous ses yeux. Hypnotisée, elle ne peut la quitter du regard. L'orangé se mêle au jaune pâle et au rouge vif, contrastant avec les murs beiges et les meubles sombres. La demeure des Kaielles est décorée avec une sobriété désarmante, contrastant avec l'exubérance de la mère, et l'intimidante force du père. Asteira, elle, est aussi beige et morne que les murs de leur maison démesurée. Elle est de celles que l'on ne remarquait pas vraiment, avant, de celles dont le prénom nous échappait sans cesse, dont la voix nous était inconnue. Timide et effacée, Asteira n'avait jamais voulu être le centre de l'attention. Certains disent qu'il vaut mieux que l'on parle d'eux en mal plutôt que d'être ignoré; Asteira pensait au contraire qu'il valait mieux être anonyme, visage générique dans la foule. Elle n'était pas de celles qui étaient animées par une étincelle semblable à la flamme de la bougie qui ondulait devant ses yeux pâles, avant. Ni fougueuse, ni instinctive, ni impulsive. Sage, toujours sage et tranquille, calme et raisonnable, responsable et silencieuse. Un jour, un camarade de classe l'avait bousculée en lui demandant d'une voix nasillarde si elle était muette, ce à quoi Asteira lui avait répondu d'un air affolé, armée de son silence le plus déconcertant. Elle était vide, inanimée et sans passion.

Et puis, il y a eu le coup de théâtre, le renversement de ses moindres points de repères, la crise, suivie de l'ascension fulgurante de son père au sein du nouvel ordre social. Sa famille devint connue et reconnue, mais surtout puissante: tout ce qui passait entre leurs mains devenait inestimable. Le pouvoir, la richesse et la renommée suffisaient au patriarche Kaielles, qui récoltait finalement le fruit de ses nombreuses années de labeur, à oeuvrer comme n'importe quel citoyen des basses classes de la société. Les Kaielles devinrent forts, alors qu'Asteira demeurait faible. On l'entoura rapidement, on créa autour d'elle une carapace protectrice immuable, de sorte que sa fragile timidité ne devint pas handicapante pour le reste de sa famille. Et, à l'intérieur de son enveloppe d'argile, qui n'était au fond qu'une vulgaire prison dorée, Asteira sentait naître en elle quelque chose. Une flammèche, un drôle d'espoir. Comme cette bougie dont la lumière jaillit sous ses yeux, Asteira se sent naître, enfin.

Et elle imagine sa ville en feu, sa vie en feu. L'oppression devenue brasier, puis cendres.

La main lourde de son père se pose sur son épaule. « Que fais-tu, Asteira? » Asteira sursaute puis regarde dans sa direction, avant de détourner rapidement le regard sous la force de celui, froid et sans pitié, de son père. « Rien. Je regardais la bougie, » explique-t-elle d'une voix qui n'est guère plus qu'un murmure. Elle est toujours faible, la voix de la petite Asteira, parce que la jeune femme elle-même n'est que faiblesse et fragilité. Douceur naïve, même. Car lorsqu'on les cache derrière des airs d'ange, les mensonges résonnent comme de puissantes vérités.

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et partout, tu seras sèche-linge ;

Asteira a onze ans, un sourire et un seul ami: Omîsel, quatorze ans, son frère aîné. Ils courent dans les rues alors que le soleil descend sur la ville, dardant ses derniers rayons sur leur peau brunie. « Attends moi, Mîsel! » crie-t-elle, gamine muette qui ne retrouve pleinement l'usage de la voix que lorsqu'elle se retrouve en compagnie de ce garçon qu'elle admire tant. Mais Omîsel ne l'attend pas, non pas parce qu'il ne l'entend pas. C'est toujours ainsi, entre eux: Asteira court, mais Omîsel court plus vite. Omîsel est plus fort, Omîsel est plus souriant, Omîsel est plus, plus, plus, toujours plus. Et cette supériorité flagrante qu'a son frère sur elle, Asteira la traduit en une admiration des plus fidèles. Et elle court, elle court dans son sillage, se faufilant entre marchands et autres passants. La fillette se fait souris, habile dans la foule qu'elle traverse sans la moindre hésitation, sans la moindre maladresse. Elle ne bouscule personne et, malgré son souffle qui se fait court, elle accélère le pas. Elle repère encore la chemise rouge et la chevelure dorée de son frère, mais il se fait loin, loin devant elle. Et puis, brusquement, il disparaît complètement de son champ de vision. Asteira s'arrête, la respiration saccadée et les jambes endolories. La panique grimpe rapidement en elle, alors que des milliards de questions se bousculent dans sa tête. Où est-il? Où est son frère? Pourquoi l'a-t-il semée de la sorte? Son regard affolé finit par se poser sur la vitrine d'une buanderie à l'aspect sale et sombre, mais d'où elle pense entrapercevoir une tignasse blonde familière. Sans prendre le temps de réfléchir ne serait-ce qu'une seule seconde, Asteira se précipite à l'intérieur de la boutique, où le vrombissement des sèche-linges se fait assourdissant. « Mîsel, » fait-elle, le regard courroucé et la voix tremblotante. Son frère éclate de rire et s'avance vers elle, puis l'attire contre lui. « Tu me fais rire, Astée, » déclare-t-il en tant qu'unique justification. Et puis, ils s'assoient et reprennent leur souffle, le regard fixé sur les vêtements multicolores qui tournent dans les sèche-linges communautaires.

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Je m'appelle Chloé, j'ai dix-huit ans et je ne sais jamais quoi écrire pour me présenter.(Sinon, je suis tombée amoureuse de votre forum et j'espère de tout coeur qu'il vivra, même si le démarrage se fait en lenteur.)